Le Full Frame, pourquoi ?

Avec toutes ces discussions à propos des appareils photo Full-Frame (Canon EOS 5D, Nikon D3) and de leurs possibles concurrents ou remplaçants (Sony Alpha 900, Canon EOS 5D Mk II ou d’un nom semblable, etc.) de nombreux photographes pourtant heureux avec leur équipement numérique se demandent : “Mais de quoi s’agit-il donc ? Pourquoi le Full Frame ?”

Et c’est une sacrée bonne question à se poser. Nous allons voir que la réponse court parallèlement à certains commentaires concernant la haute résolution des capteurs. Ce sont souvent les mêmes qui ont remarqué que la résolution extrême n’était pas une fin en soi (malgré les discours en ce sens chez presque toutes les marques du marché) qui ont aussi compris que passer au Full Frame était sans doute une décision importante pour le photographe numérique attentif.

Full Frame ? Quésaco ?

Tout d’abord, de quoi parle-t-on ? Précisément ! La plupart des appareils photo reflex utilisent un capteur dont la taille est à peu près la moitié de la surface d’une (vieille ?) diapositive habituelle en 35mm. On parle alors de capteurs APS-C parce qu’ils ont à peu près la taille de cet autre (moins vieux ?) standard de la photo analogique. Comme tant et tant de photographes sont venus à la photo avec les films 35mm, on a tendance à tout leur comparer.

Sony Full Frame 24 mega-pixel sensorCes petits capteurs d’image sont utilisés par les fabricants parce que plus le chip de silicium est petit, meilleur marché il est. C’est ainsi pourquoi les téléphones photo utilisent des capteurs absolument minuscules (parfois seulement de quelques millimètres de côté).

Les capteurs Full Frame sont ceux qui ont presque exactement la taille du film 35mm de référence : 24mm par 36mm. Selon les normes des fondeurs de silicium, cela a longtemps représenté une taille ridiculement grosse pour de la production de masse mais le progrès technologique étant ce qu’il est (bonjour, la loi de Moore !) cela devient maintenant accessible. Alors, pourquoi pas ?

Avantages du FF

Le premier est que si vous vous fixez un nombre fixe de pixels (disons 10 millions pour un seul capteur), plus le capteur est gros, plus sont grands les pixels sensibles individuels. Et cela a presque tous les avantages.

En étant gros, le pixel est aussi plus sensible (il peut recueillir plus de photon au même moment). Il y a alors moins besoin de faire appel aux mathématiques et à l’algorithmique pour rattraper les situations à basse luminosité. Le capteur ramasse directement suffisamment de lumière pour compenser les conditions de faible éclairement et l’image souffre moins du bruit. Un peu comme quand on pousse le volume de la radio pour masquer le bruit de fond d’une conversation gênante. Ces grands pixels poussent le volume naturellement.

Et quand on parle de bruit, on parle vraiment de problèmes. Quand on utilise les gros ISO (gros zizos, ou sensibilité poussée) et/ou des appareils de basse qualité (comprendre les “petits capteurs” comme sur les appareils compacts ou les téléphones), on passe son temps à avoir des images tristounettes, couvertes de petites tâches légèrement colorées ou sans aucun détail parce que le fabricant a décidé de masquer le problème en forçant sur les algorithmes de “nettoyage” qui lissent les détails.

En parallèle, si vos pixels sont grands, larges et collectent plein de photons, il est infiniment plus facile pour l’électronique de découper cela en tranches plus fines : vous obtenez une meilleure dynamique. Cela veut dire que vous trouverez davantage de détails dans les zones d’ombre et que vous pourrez plus facilement éviter les grands à-plats blancs qui bavent dans les zones lumineuses. C’est bon pour vos photos.

Mais il y a aussi encore plus subtil, mais important. Combien de photographes faisant le chemin de l’analogique (le film) au numérique (la carte-mémoire) ont immédiatement remarqué que l’oeilleton de leur reflex dans lequel on regarde est devenu ridiculement petit et étriqué : tout y semble compressé et sombre. Comme il reproduit à peu près exactement l’image du film ou du capteur, quand le capteur s’est trouvé plus petit que le film 35mm, que croyez-vous qu’il advint ? Le viseur a réduit aussi (sauf sur des appareils de haut de gamme). C’est inconfortable. Mais si votre capteur est un Full Frame, tout devient plus facile pour le fabricant de l’appareil et l’image, n’ayant plus à être autant agrandie pour votre oeil, semble naturellement plus belle et la visée plus facile.

Un argument plus techniquement ardu intervient aussi alors que le nombre de pixels augmente régulièrement. Quand nous avions un capteur APS-C, personne ne le remarquait, mais avec 10, 12, 14 millions de pixels on commence à noter que la croissance des pixels n’apporte pas toujours autant de qualité que l’on l’espérait. Une des raisons est que la diffraction de la lumière est en train de devenir un problème quand on ferme le diaphragme. Les pixels sont si petits à f/22 ou f/16 que le cercle de dispersion de la lumière peut être plus large qu’un pixel (ou au moins perceptible à l’échelle d’un pixel).

Les fabricants (et les photographes vraiment férus de techniques ou attentifs) comprennent maintenant que s’ils continuent à réclamer plus de pixels, ils doivent -tout d’abord- acheter des objectifs de super qualité (ça coûte des vrais Zeuros) et -ensuite- disposer de plus gros pixels. 20 million de pixels sur un capteur APS-C ne seront sans doute jamais significativement meilleurs que 10 ou 12 millions d’entre eux. Pour avoir plus de pixels, il faut grossir le capteur, donc passer par le Full Frame ! Il vous offre plus de vrais pixels et une gamme de diaphragme utilisable plus étendue : dans la plupart des cas, on décide qu’autour de 12 millions de pixels pour un capteur APS-C, fermer à plus de f/16 est simplement prendre des risques avec la qualité de son image.

Remarque : cela explique pourquoi d’innombrables petits appareils photo et téléphones produisent vraiment des images très moches malgré un nombre ahurissant de pixels…

Sony Alpha 900 - Copyright (C) 2007 Master Chong (Ivan) - All rights reserved

Avantages discutables

Une plaie des petits capteurs est leur Profondeur de Champ (PdF) terriblement étendue. Tout semble parfaitement au point, parfaitement net. C’est parfait pour un bloc-notes numérique comme un téléphone photo. Mais si vous penchez vers des images plus soignées, impossible d’avoir un sujet net qui se dégage d’un environnement élégamment flou. Cet effet est plus dur à obtenir sur un petit capteur APS-C que sur un Full Frame. Mais il faut reconnaître que ce n’est pas qu’un avantage. Les photographes amateurs de macro- ou de proxy-photographie savent bien qu’ils manquent toujours de profondeur de champ et c’est ce qui fait le plaisir de la macro avec un appareil compact : les petits capteurs ont un avantage ici.

Également, comme les capteurs APS-C sont plus petits, l’image prise est plus petite (toutes choses égales par ailleurs). Ainsi, l’objectif standard 50mm de votre vieil appareil analogique semble donner une image équivalente à un petit télé de 75mm ou un 80mm sur un appareil numérique. On parle alors de facteur de conversion. Selon votre appareil (ou plutôt son capteur), vous avez un facteur de 1,6 (pour la plupart des Canon EOS) ou de 1,5 (pour les Sony et de nombreux Nikons). Olympus utilisant des capteurs encore plus petits a un facteur de conversion plus élevé (près de 2). C’est le cauchemar pour les amateurs de paysages au grand angle. Pour eux, il est de plus en plus difficile de se procurer un beau grand angle : le beau grand-angle de 16mm est devenu un plus quelconque 24mm. Les photographes de paysage en souffre assurément. Néanmoins, étant moi-même plus porté sur la photo de la vie sauvage, j’ai trouvé cela génial : ma collection de télé-objectifs Minolta a pris un coup de boost en passant sur des boîtiers numériques Sony. La plus récente addition, un 400mm f/4.5 est presque exactement équivalent sur mon Sony Alpha 700 à un 600mm f/4.5 sur le vieux Minolta Dynax 9xi mais il pèse à peu près deux fois moins et m’a coûté deux fois moins. Tout le monde ne s’en réjouira pas, mais les photographes animaliers qui ne peuvent toujours pas s’approcher de leurs sujets en tirent une satisfaction évidente.

La face cachée du Full Frame

Mais il y a aussi des côtés franchement pas réjouissant aux capteurs Full Frame. On a déjà rappelé que les fondeurs de silicium sont terriblement sensibles à la surface. Plus le chip est gros, plus il est cher. Et pas seulement en proportion de la quantité de matière ajoutée. Les défauts du silicium ont tendance à se répartir à peu prés uniformément sur sa surface. Plus votre composant est gros, plus il est susceptible de se trouver victime d’un défaut aléatoire, plus vous devrez en jeter (si votre chip est deux fois plus gros, un défaut le rendra inopérant là où ce seul défaut n’aurait obligé à jeter qu’un des deux chip plus petit). Le problème a longtemps été tel que ce n’était même pas la peine de penser au Full Frame. Les choses s’arrangent, mais… c’est cher.

A mentionner encore, un gros capteur impose un gros appareil (votre téléphone est petit -entre autres- parce que son capteur photo est minuscule). Plus gros ? Ça veut dire plus lourd ! Et il y a un monde entre un boîtier de 300g et un boîtier pro de 900g. Essayez de garder l’un ou l’autre à bout de bras pendant une heure pour une séance. Certains s’en moquent (je m’y suis habitué : mon appareil est souvent fixé sur un objectif qui fait plus de 2kg ; j’ai parlé auparavant d’un 400mm qui ne pèse pas moins de 2.9kg. Mais beaucoup n’envisagerait même pas de garder pas loin de 4kg au bras plus de quelques secondes ; mon premier télé Sigma de 400mm/5.6 -bien plus léger que cela- m’avait été vendu par un gars qui ne pouvait plus l’utiliser à cause de son mal au dos).

Nouveau Sony Alpha à la PMAMais vous pouvez dire que si l’image est bonne, vous vous en moquez. Mais voici venir la taille de l’objectif à nouveau. Pour couvrir toute la surface d’un capteur Full Frame, il faut un objectif avec des lentilles suffisamment vastes pour couvrir jusqu’au coin de l’image. Mais aussi la qualité de l’image doit être conservée au bord des lentilles et les rayons ne doivent pas être obligés à des parcours trop tortueux. Si vous n’y faites pas assez attention lors de la conception, vous pouvez obtenir un objectif convenable en format APS-C mais pitoyable en Full Frame. Souvent ces cibles sont difficiles à atteindre et l’objectif est limité : il vignette (les coins de l’image sont moins lumineux que le centre) et les angles sont moins précis (pas aussi nets que le centre). Plus le capteur est grand, plus il est difficile de faire de bons objectifs pour lui. Vous êtes obligé de vous tourner vers le rayon “pro” de votre magasin préféré. Encore un coup de pouce pour les prix et le poids.

Mais alors que faire ?

C’est la question de Lénine, mais aussi du photographe. On peut dire que le Full Frame est actuellement bien réservé aux pros, aux amateurs très éclairés et fortunés. Mais nous ne pouvons pas oublier que cette tendance est à peu près inéluctable pour maintenir la qualité pendant que le nombre de pixels augmente. N’allez pas imaginer que les progrès de l’électronique pourront permettre de compenser les lois de l’optique (la diffraction est là pour longtemps encore !) Tout le monde ne passera sans doute pas au Full Frame, mais il est là pour longtemps.

A défaut d’investir dans le Full Frame, il faut peut-être en tenir compte pour le reste de son investissement et en particulier au moment d’acheter une optique. Beaucoup d’objectifs bon marché ne peuvent être utilisés que sur un capteur APS-C. Si on peut croire faire une bonne affaire, il faut retenir que l’on risque d’en oublier qu’un objectif est sensé vivre beaucoup plus que l’appareil photo qui l’accompagne (ceux-ci ont décidément pris le virus des ordinateurs et ont une durée de vie courte : la règle de l’obsolescence à 2 ans n’a pas de raison de vous condamner à jeter aussi votre objectif en changeant d’appareil). C’est pourquoi beaucoup d’objectifs capables du Full Frame conservent leur valeur (même en occasion). C’est pourquoi Sony et Carl Zeiss continuent à concentrer leurs fabrications sur des objectifs qui marchent aussi bien en APS-C et en FF.

Quand j’achète un télé-objectif, j’ai tendance à payer un prix élevé même pour du matériel d’occasion (plus de 2000 Euros pour le Minolta APO G High-Speed 400mm f/4.5 que j’ai eu d’occasion sur eBay). J’ai bien l’intention de lui donner une durée de vie largement supérieure à celle des boîtiers Sony Alpha 700 et Konica-Minolta Dynax 7D qui vont derrière. Si (et je dis bien si) je m’en vais acheter le futur Sony Alpha 900 à capteur Full Frame (probablement disponible à la fin de l’été 2008), toutes mes optiques resteront compatibles avec ce nouvel appareil.

Donc, même si vous n’en êtes pas à rêver du gain en qualité qu’il peut apporter, pensez aux capteurs Full Frame quand vous allez investir en photo.

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